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La nostalgie revient quand le présent n'est plus à la hauteur

mpourcellie

Un jour le médecin de famille suite à une cuti positive, diagnostiqua que j’avais une primo infection. Il recommanda à mes parents de m’éloigner de la ville pour prendre le bon air à la campagne. Mes parents cherchèrent un endroit pour me faire passer mes vacances. C’est Gaby et Gilbert des amis de mes parents, qui passaient leurs vacances dans une ferme, appartenant à un riche propriétaire Toulousain, qui demandèrent aux fermiers chargés de l’exploitation, s’ils pouvaient me prendre. La ferme se trouvait au lieu dit Las Fénial à coté de Cahuzac sur Vère, proche de Gaillac dans le Tarn. Même si la vie dans ces campagnes était rude, un peu trop pour un jeune enfant qui devait se plier à certaines exigences, j’en garde un souvenir nostalgique. Cette nostalgie n’est pas liée à mon propre temps qui passe, comme lorsque l’on se rappelle les bons moments passés du fait de notre jeunesse. Elle est reliée aux choses que j’ai vécues, que personne ne pourra plus vivre, car le monde a tellement changé qu’il ne reste plus rien des valeurs de l’époque.

La ferme était exploitée par un couple qui n’avait jamais eu d’enfant, aidé par un réfugié espagnol, vraisemblablement anarchiste, pour s’être fait oublier du monde dans un endroit aussi perdu. Il faut se rappeler que seules les familles riches possédaient une voiture et que les seuls moyens de locomotion étaient l’autocar ou le vélo. Les distances paraissaient ainsi plus grandes et toutes les fermes du Tarn étaient de ce fait très isolées. Le domaine agricole était constitué de vignes et de terrains de culture, blé, avoine etc. On y vivait en totale autarcie. Tout le nécessaire pour se nourrir était à portée de mains ; poulets, lapins, etc. et même des pigeons. En plus de cela la nature était généreuse et offrait tous les fruits de la cueillette, de la chasse et de la pêche. Le potager apportait tous les légumes saisonniers et les champs, les pommes de terre, les melons, tout ce qui permettait de nourrir toutes les bêtes.

Bien sûr, pas d’eau courante, mais plusieurs puits qui donnaient une eau pure et très fraîche.

Une fois par semaine, à condition qu’un chiffon soit pendu à la fenêtre pour être vu au loin, le camion de l’épicier de Cahuzac venait se garer dans la cour de la ferme. On n’y achetait que les produits de première nécessité ; huile, chocolat quand j’étais là, sel etc. Une fois tous les quinze jours, l’un ou l’autre des fermiers allait chercher le pain au village en vélo, il revenait avec de grosses miches de pains enfermées dans de gros sacs de jute qui pendaient de chaque coté du porte bagage de son vélo. Cela sentait bon le pain frais.

Le travail était très bien distribué : le fermier s’occupait surtout de la vigne avec son cheval, l’aide espagnol était chargé de labourer et de semer les champs de blé, d’avoine, de trèfle etc. Il faisait cela avec une charrue tirée par un attelage de deux bœufs qu’il conduisait avec une très grande dextérité, un mouchoir toujours noué autour du cou pour le protéger contre la poussière, mais qui était à mon sens surtout un signe de reconnaissance entre émigrés espagnols. Il n’avait pas son pareil pour faire des aiguillons, à l’aide d’une branche effilée et d’une pointe, qui servait pour faire avancer son attelage comme il l’entendait. Dans ses moments de pause, il avait plaisir à m’expliquer avec son accent qui le rendait difficilement compréhensible comment faire un aiguillon. Je le suivais très souvent lorsqu’il partait avec ses bœufs labourer. La plupart du temps la charrue restait dans le champs, car il passait plusieurs jours à finir une parcelle. C’était un véritable travail d’expert car cela réclamait de savoir conduire l’attelage, réuni par un joug en bois, mais aussi de trouver la bonne profondeur à laquelle devait s’enfoncer le soc de la charrue pour que le maximum de terre soit retournée, sans que les bœufs fatiguent. Il y avait un petit volant au dessus de la charrue que Francis, l’aide espagnol, tournait régulièrement pour ajuster la profondeur du labour.

La fermière, elle, était chargée de nourrir toutes les bêtes, sauf les bêtes de labeur et de s’occuper du potager. Dans la grande cheminée de la principale pièce où nous vivions, un chaudron dans lequel cuisait la soupe des cochons, était suspendu à une crémaillère sous un feu vif, même en plein été par chaleur tropicale. Une croûte noire s’était constituée sur tous les accessoires de la cheminée par les longues heures passées sous les flammes.

Voilà dans quel environnement j’ai passé plusieurs étés. L’objectif fixé consistait à ce que je prenne des forces, il était toujours atteint car je revenais toujours les joues bien rondes. C’est difficile de raconter ce qui garnissait la table tous les jours. Au moment de la période des melons, la fermière que j’appelais ‘tatie’ mettait dans un seau rempli d’eau bien fraîche, tirée du puits, plusieurs melons. Ils étaient ouverts l’un après l’autre et s’ils n’étaient pas assez goûteux, ils finissaient dans la cour pour les canards qui se jetaient dessus en remuant la queue comme un chien, pour montrer qu’ils étaient contents. Parfois pour me faire plaisir Achille, le fermier, empoignait sa carabine et tuait un pigeon qui sortait ou entrait dans le pigeonnier qui se dressait dans la cour de la ferme. Cela lui arrivait de monter directement dans le pigeonnier pour en attraper un encore couvert de duvet, qu’il étouffait en pressant avec deux doigts en dessous des ailes, avant de le plumer et le faire rôtir.

Le dimanche lorsque la chasse était ouverte, j’avais le plaisir de manger du gibier tué le matin même par Achille qui s’était levé vers 5 heures, sinon c’était un cabot avec ses nageoires rouges qui nous était servi à table, pêché le matin même dans la Vère, un affluant de l’Aveyron qui coulait en bordure de la propriété.

Je passais mes vacances à m’amuser comme tous les enfants de mon âge mais parfois on me demandait de participer un peu aux travaux. Ma principale mission était de garder les chèvres et les moutons. Ce n’était pas quelque chose que j’affectionnais particulièrement car je me trouvais seul dans un pré, sans personne dans mon champ de vision et je devais faire attention à ce que ce diable de troupeau avait décidé de faire. C’était d’autant plus difficile lorsqu’il y avait un champ de luzerne à coté, car il était absolument interdit que tous ces petits quadrupèdes se fassent une ventrée de cette reine des plantes fourragères, au risque de se faire éclater la panse. Parfois on me demandait aussi d’aider à ramasser les pommes de terres.

Je faisais parti de ces enfants qui n’étaient pas trop téméraires. Mon terrain de jeux était très grand mais pas toujours accessible, car défendu parfois par un jar et ses oies, la tête en avant montée sur leurs pates, les ailes écartées. Dans un bruit d’enfer fait de gloussements et de cagnardements, ils n’avaient qu’une seule obsession, me mordre le mollet. J’étais alors obligé de faire un grand détour pour aller sous mon marronnier préféré qui surplombait la colline. Depuis cet arbre on pouvait voir au loin le vieux moulin à farine qui puisait son énergie dans la Vère remplie de poissons, d’écrevisses, de cresson ; tout ce qui aujourd’hui à disparu.

Le dimanche était jour de repos. Francis, l’aide espagnol, faisait sa toilette dans un grand bac d’eau qu’il faisait réchauffer au soleil, mettait des affaires propres, se parfumait et allait rejoindre en vélo ses camarades à Cahuzac, tous émigrés espagnols comme lui. Il ne rentrait que le soir pour faire manger les bêtes. Achille s’adonnait à son plaisir principal la pêche et la chasse. Le seul livre que je lui ai vu lire c’était le catalogue de Manufrance de la célèbre et emblématique entreprise stéphanoise connue de tous les chasseurs. Ils écoutaient rarement la radio.

Je ne pouvais pas quitter cette histoire, qui s’est renouvelée trois ou quatre fois, sans parler de la récolte du blé. Les moissonneuses-batteuses, ces gros engins qui parfois prennent toute la route pour se rendre dans les champs, qui nous empêchent de passer n’existaient pas. La récolte du blé se faisait en deux temps : le fauchage et le dépiquage. Le fauchage consistait à faire des gerbes de blé qui étaient ramassées sur des charrettes tirées par des bœufs et ensuite soigneusement rangées dans la cour de la ferme sous forme de meules nommées gerbières. Pour éviter que la pluie pourrisse le grain en séchant, elles étaient ensuite couvertes d’une grande bâche.

Venait ensuite le temps du dépiquage qui se faisait à tour de rôle dans les différentes fermes du voisinage. La veille du jour j une grosse machine remplie de courroies était installée à coté du gerbier. Le lendemain de bonne heure, on voyait arriver à pied ou en vélo, portant parfois leurs outils sur les épaules, des hommes de toutes les fermes avoisinantes pour aider. Lorsque tout le monde était là, la grosse machine se mettait en marche dans un gras fracas. Celui qui se trouvait sur le gerbier commençait alors à jeter la première meule de blé dans la machine qui l’avalait dans un nuage de poussière fait des morceaux d’enveloppes qui entourent le blé. Cela se rependait partout, au gré du vent, pendant tout le temps du dépiquage. Tous les hommes affectés aux différentes tâches en avaient partout, sur la tête, dans les narines, les oreilles et sur le corps. Malgré cela tous étaient à leur poste et travaillaient dur. La machine crachait d’un coté les grains de blés, de l’autre de grosses balles de pailles qu’il fallait ranger dans les hangars. C’était une incessante ronde de travailleurs qui n’avaient qu’un objectif celui de terminer au plus vite pour partager un bon repas. En effet, c’était aussi jour de fête et l’occasion de montrer qu’on savait recevoir. De grandes planches étaient posées sur des tréteaux, sur lesquelles on dressait la table. Le travail avait été très dur et il fallait redonner des forces à chacun. Rien ne manquait, mais tout était des produits de la ferme, charcuterie, volaille, et même parfois du chevreau qui venait d’être tué pour cette occasion. Une fois que le repas était terminé, tout le monde rentrait chez soi et la machine partait vers une autre ferme. Il ne restait plus qu’à l’endroit où elle était un épais tapis composé des enveloppes qui entouraient le grain.

Lorsque je repense à ces moments de bonheur, même si l’enfant que j’étais n’en avait pas conscience, je me dis que j’ai connu le jardin d’Eden, ce lieu terrestre que la Bible raconte être planté par Dieu, où il y avait toutes sortes d’arbres à l’aspect agréable et aux fruits délicieux, où il faisait bon vivre en parfaite harmonie avec la nature pour ramasser, les champignons, les mûres, les fraises…Monter aux arbres pour cueillir les meilleurs fruits : pêche, prune, pomme… Prendre un permis de chasse ou de pêche pour manger les meilleurs poissons d’eau douce ou manger les meilleurs gibiers pas encore malades. L’énumération pourrait être longue car il y avait en plus tous les produits que le travail de la ferme produisait. Ces moments, personne ne pourra plus les revivre car nos rivières sont polluées, il n’y a plus de gibier, les sociétés de chasse sont obligées de faire des lâcher de gibier d’élevage, nos terres et nos nappes phréatiques sont infectées par les pesticides. Je voudrais bien savoir si l’eau des puits dans lesquels on faisait refroidir les melons est toujours aussi pure.

Pour revenir à cette période de ma vie lorsque j’y pense, oui il y a de la nostalgie, mais c’est une nostalgie liée à l’irréversibilité de ce qui a été et qui ne pourra plus exister. Elle est à prendre sous la forme de : manque quelque chose, manque d’une chose que l’on a connu et qui n’est plus dans sa forme initiale et qui a été détériorée. Elle est faite d’insatisfaction. C’est une nostalgie qui vient aussi quand on pense que le présent n’est pas à la hauteur du passé. Cela ne veut pas dire qu’il faut refuser tout ce qui a donné du bien-être à l’humanité en lui permettant d’accéder à des choses que seule la révolution industrielle lui a offert, considérer toutes les innovations comme suspectes, les contester.

Je ne suis pas contre le modernisme au contraire, je suis même très friand des nouvelles technologies, même si je pense que nous allons trop loin. Ce qui me rend nostalgique c’est la perte de tout ce qui a fait le bonheur de nos aînés et que nous ne retrouverons plus, même si je suis conscient que ces moments ne permettaient pas de combler les difficultés qu’ils avaient à vivre. Toutefois je remarque qu’il y beaucoup de courant de pensées pour retrouver les temps passés. Est-ce qu’il y aurait plus de nostalgique que l’on nous laisse le penser.


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